Plusieurs techniques
Il y a deux écoles pour lever les filets de poisson. En France on enseigne à lever avec un couteau flexible, communément appelé “filet de sole”, ce fut le choix de Thibaut Ruggeri au Bocuse d’Or 2013 (Masahiro M16, au menu : turbot). Auparavant d’autres compétiteurs, Serge Vieira (lotte), Fabrice Desvignes (flétan), Philippe Mille (cabillaud), avaient quant à eux opté pour une lame rigide à biseau droit, le couteau Haiku H07.
Classiquement au Japon on coupe la tête et lève les deux filets avec un Deba, puis on passe au Sashimi pour enlever la peau et la découpe. Les lames rigides ont des avantages. Tout d’abord parce qu’il faut lever la bête d’un trait et pour cela rien de tel qu’une lame à fort pouvoir de coupe. Et qui dit fort pouvoir de coupe dit aciers supérieurs. Or jusqu’à un passé récent lame flexible et “high carbon steel” étaient antinomiques. La société Masahiro (M16 à 0,9 % de carbone) et Kasumi (V10 à 1,0%) peuvent aujourd’hui répondre à ce besoin de lame flexible et dure, et dans un autre registre nous disposons du couteau P07 de Porsche souvent employé par les professionnels pour sa remarquable flexibilité.
Dans les lames dures deux options s’offrent au cuisiner : les lames asymétriques “feuille de saule” (Haiku H07, 21 cm) ou P38, (25 cm, ci-dessus), ou un couteau plus court, ambidextre, selon le type de poisson. C’est le choix de Laurent Lemal, au Bocuse d’Or Europe 2016, qui a travaillé avec le couteau Kiseki 1 sur un esturgeon de 2,5 kilos pièce. Chez ce type de poisson épais, comme le saumon ou le brochet, une lame d’une douzaine de centimètres permet de garder le contrôle vis-à-vis des cartilages très durs de ce poisson qui endommageraient à la longue le fil du couteau, dixit le chef de l’équipe de France. La gamme Kiseki entre dans la catégorie des aciers hypers durs, permettant une coupe droite, gage de visuel sophistiqué.
On s’interroge souvent en Occident sur les vertus des couteaux biseautés type H04 ou H07. Elles sont de 3 ordres :
1. au Japon on coupe en tirant (hiki-giri) et non en poussant (oshi-giri). Le sashimi s’utilise toujours en tiré, le cuisinier japonais ne faisant jamais d’allers-retours, on coupe avec l’épaule, le poignet restant droit. Cela se fait en 3 temps : placer la base de la lame sur le filet, faire glisser la lame vers vous, décoller la tranche avec la pointe.
2. le sashimi s’utilise soit dans un angle à 90°, soit dans un angle à 45° par rapport à la planche à découper, ce qui permet un geste unique, sans abîmer la chair. C’est une caractéristique ancienne qui vient de loin : un combat d’épée au Moyen-Age, à la fin du mouvement les bras du chevalier sont tendus, le samouraï, lui, ramène la lame vers lui (après l’avoir passée à travers le corps de l’adversaire…), bras repliés à la fin.
3. le biseau d’un côté implique une coupe asymétrique. Une tranche de poisson coupée avec un H07 ne présente pas la même surface des deux côtés : lisse sur la surface plate du couteau, irrégulier sur la surface biseautée afin que sa surface accroche mieux. De plus le côté opposé est légèrement concave qui créé un vide d’air ; ce faisant on pénètre mieux et toute la saveur reste dans le produit. Le biseau conserve la saveur dans la philosophie nippone. Alors que les couteaux occidentaux ont été conçus pour couper de haut en bas, les couteaux japonais pour sashimi doivent réduire le contact avec la chair au maximum de sorte à éviter tout suintement. Ces couteaux bénéficient parfois d’un traitement de surface anti-adhérent en sus, c’est le cas de la série de couteaux Haiku de Chroma.